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LIVRE

 

Une synopsys de livre ne sera jamais rien de mieux selon moi que son C.V.

Un extrait de ce même ouvrage en sera le reflet... Aussi, ai-je souhaité vous en faire partager les premières lignes... Bonne immersion à vous...

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Enfourche tes rêves...

Par Sylvain Pierron

Thème : Témoignage

Format : Roman (134x204)

Nombre de pages : 235

Date de publication : 8 décembre 2018

ISBN: 978-2-37916-069-1

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EXTRAIT DES 15 PREMIERES PAGES DE LIVRE:

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CHAPITRE I :

 L'ancien testament.

 

« Le récit n'est plus l'écriture d'une aventure, mais l'aventure d'une écriture » - Jean Ricardou.

 

Avril 2014 : Écran noir, page blanche, grise mine...

 

Dix-huit mois... Dix-huit putains de mois où l'on se perd en de stériles recherches... Où l'on se bluffe, lâchement retranché sur le piédestal d'un « vrai-faux » argument... Où passion se retire et raison prend place.

Elle est partie pour se donner à un autre, reprenant liberté de s'offrir à l'avenue du destin. Je suis devant page blanche, et les mots se dérobent. L'écriture m'échappe, alors que Marc Levy nous annonce la sortie d'« Une autre idée du bonheur », son quinzième roman.

Non, rassurez-vous, je ne vous parle pas d'une femme, mais toutefois, aussi inconcevable que cela puisse paraître, la vente d'une moto peut s'avérer parfois pour un passionné aussi déchirante qu'une rupture amoureuse. Preuve en est me concernant. L’engagement du moindre échange téléphonique avec un potentiel acheteur aura été martelé par le rythme de chacun de mes mots, chacune de mes phrases en de véritables coups de butoir. La mise en vente d'une bécane pour une mise à mort de l'âme...

 

C'est un matin de février 2012 qu'elle m'a quitté, non sans s’être laissée enquillé une toute dernière fois pour quelques tours de roues. Ronronnement hypnotique, incomparable fluidité, hurlements enchanteurs, puis, le silence... Fièrement dressée sur sa béquille, les échappements encore brûlants, elle sera solidement sanglée sur une remorque, entravée telle une amazone refusant soumission. Une poignée de main en ultime trahison à son acquéreur, puis je la verrai s’éloigner me scrutant du coin du phare dans un dernier « Pourquoi ». La fin d'une belle complicité, le début d'une autre histoire. Une nouvelle région aussi pour un nouveau job, de nouveaux projets. Le virage raisonnable et raisonné d'une vie jusqu'à ce jour en pointillés. Adieu famille, adieu fureur, bonjour sagesse !

Le mélodrame aurait pu se limiter à ça, mais bien souvent, derrière la version officielle des choses se cache toute autre vérité : oui, elle est partie, mais parce que je ne me suis pas montré assez fort pour elle ! Parce que n'ai pas su la préserver ! Je ne suis plus aujourd’hui qu'ombre et poussières. Un amas de cendres sur lequel demain je me promets le flamboyant retour du Phoenix. La passion de la moto est mienne et le restera à jamais. Elle est une force. Elle est mon essence et ma joie de vivre. Elle est mon quotidien. « Orange mécanique », ma moto, ma fierté, m'a quitté pour une tout autre direction. A chacun sa voie désormais. Longue soit ta route ! Que la mienne le soit aussi...

Un état d'esprit loin d’être glorieux en ce début d'année 2012, il faut bien l'admettre. Mais retirez au peintre ses pinceaux, au musher ses chiens, au gitan sa guitare, et la flamme viendra naturellement à s'éteindre. Tout vrai passionné privé de son guide ne peut que s'enfoncer vers une inévitable mort spirituelle.

 

Dix-huit mois... Dix-huit longs mois donc, où bien malgré moi, je clouerai casque et blouson sur la croix du Golgotha. Crucifié certes, mais loin d'être mort ! Et dans cette retraite imposée, l'écriture deviendra un exutoire, un compagnon d'infortune. L'écriture d'une vie-passion. L'écriture d'une aventure dont le point d'orgue semble invariablement trouver sa source au sein de « l'ancien testament » de ma vie.

Il faut remonter loin, extrêmement loin dans mes souvenirs pour comprendre l'instant : trente-cinq ans précisément pour en faire sauter le verrou... Passez cette porte, et devenez en toute simplicité le voyageur témoin de mon histoire à l'image de ce que Sartre soulignait :

« Pour que l’événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter. »

 

Je ne devais pas avoir plus de dix ans, lorsque m’ont invité à danser pour la première fois les muses du Dieu Motorrad(*). Je n'irais pas jusqu'à dire que je suis passé du berceau à la moto, mais les faits sont là ! Aussi clairs à mes yeux qu’était pour Einstein la théorie de la relativité. Mais je m'égare... Disons qu'au fil des années, je me suis comme moto-morphosé. Un addict pur jus de la pratique moto, sous toutes ses formes, par tous les temps, en tout endroit. Ce que l'on appelle dans notre jargon un motard quatre saisons. Mais avant d'être, il faut avoir été...

 

20 Avril 1980 : Autoroute A11, quelque part entre Rouen et Paris.

 

Me voilà donc, à tout juste dix ans, mollement avachi sur la banquette arrière de la berline familiale. Je louche sur l'autoradio supplicié qui beugle à qui veut l'entendre le dernier tube de  Stone et Charden. Nous sommes sur la route du retour et ne peux qu'applaudir des deux mains. J'en ai ma claque, tout gamin que je suis de ces « séances de torture » ! Ras la casquette de ces repas de famille qui s'éternisent autour des « Oooh » de ces dames endimanchées, s'émerveillant sur la tarte aux fraises de tata Jeanine. Plein les pattes des « Aaah » de bienséance de ces messieurs, lorgnant sur le quinze ans d'âge de tonton Maurice. Par dessus la tête aussi de ces sempiternels débats politico-merdiques de tablées dominicales !

C'est une première clameur, un rugissement phénoménal qui m’extirpe brutalement de mes rêveries. Je bondis tel un diable hors de sa boîte pour aussitôt me fixer sur les grondements sourds et grandissants. Une véritable ouverture de rideau ! L’opus brillant d'un opéra wagnérien ! Un spectacle qui aura sur moi d'inéluctables répercussions. Bien loin en effet de m’épancher sur l’information du jour annonçant à la radio les prémices d’un violent  printemps berbère, je n’aurai d’yeux et d’oreilles que pour ces cinquante mille motards… Oui, cinquante mille motards regroupés en ce 20 avril autour du mythique circuit des 24 heures du Mans. Cinquante mille motards reprenant rageusement route vers Paris et sa banlieue. Cinquante mille motards s’invitant sur l’autoroute des « Gigots-flageolets » du dimanche. Cinquante mille motards frappant au cœur pour la première fois un gamin de dix ans !

Soudain, un second hurlement !... Cette fois solidement embusqué à hauteur de hayon, j'élabore à la hâte mon poste d'observation. Scrutant l’horizon à l’image d’une sentinelle, je surplombe de notre voiture le cortège funèbre d’une fin de week-end. Face à moi, un troupeau inepte d’automobilistes remonte tout droit le ruban d’asphalte vers les embouteillages parisiens, chacun s’affairant déconfit dans ce chemin de croix, à s’enquiller dans la procession. Morne tableau que de vives lueurs vont pourtant progressivement égayer en un flot intarissable. Se détachant subitement du champ de voitures, comme l’aurait fait une nuée de sauterelles, les phares d’une irrépressible armada de coléoptères mécaniques vont alors embraser le bitume d’un halo de lumière. Une vague sans fin… Un véritable raz-de-marée moto. Cramponné au repose-tête, genoux rivés sur la banquette, regard contemplatif, ma curiosité fait rapidement place à une outrancière excitation. Chaque moto, dans ce ballet improvisé, semble vouloir me saluer de sa voix caractéristique. « Valse mélancolique et langoureux vertige ! » Bicylindres, monos, deux temps, six cylindres, trois pattes... Le baryton chante pour le soprano, le ténor rend hommage au castrat. Des voix ensorcelantes ! A l'image d'Ulysse devant le détroit de Messine, je sens ces sirènes me happer dans le tourbillon de leur écho. Subjugué par la prestance de cette horde, je flotte, magnétisé par ces monstres d'acier. Ils paraissent indestructibles… Inébranlables ! De véritables icônes à l'image de ce qu'un môme ressent devant l'archétype du héros qu'il se fabrique au quotidien. Ce père fictif que la sombre réalité vient finalement détruire sur le palier du monde adulte.

Dans mon euphorie, je ne remarque pas de suite ce motard échoué au guidon d'une authentique chimère, trois mètres tout au plus de mon observatoire. Comme un papillon piégé à la lueur d'une bougie, je me vois proprement scotché par l’incandescence de ses phares additionnels. Le dragon de métal me scrute en prédateur féroce. En un réflexe purement instinctif, je me terre un court instant tel un garenne en panique. Mes petits gestes, timidement lancés à cette légion auraient-ils été mal perçus par l'un d'entre eux ? Oreilles tendues, moustache au vent, je finis par relever museau et billes de loto. Dans ce regard, une expression d'admiration que le motard, sous sa paire de climax(*), finira par apercevoir. L'homme me fixe... Il est rayonnant, monstrueux de force et de puissance. Je ne salue plus de la main. Je suis figé, telle une proie face au rapace. Puis, un groupe de motards se manifestera en un coup de klaxon rageur auquel le chevalier répondra d’un signe. J'entreverrai alors brièvement la main gauche du paladin quitter le réservoir sang et or. Le destrier de feu déboîtera sur ma droite, et fera lentement mouvement vers notre flanc. Le dragon vociférera en un feulement rauque et tourmenté. Son souffle sera brûlant, son brame terrifiant. Tétanisé, je quitterai du regard le cheval d'acier pour le pilote. Là, je distinguerai nettement les Climax m'adresser un large sourire... Franc... Chaleureux...  A moi ! Tout juste dix ans ! Je vous laisse imaginer l'explosion de fierté qu'un enfant peut ressentir en tel instant. Instant que l'on souhaiterait éternel. Un moment où tout semble s'arrêter. Une pause sur les chemins de la vie...

Je crois avoir esquissé un geste frileux, auquel un poing ganté m'a rendu la pareille, index et majeur tendus en un « V » parfait(*). Je n'en comprendrai pas sur l'instant la symbolique. Le seigneur des routes ne m'en laissera pas le temps. Il lâchera une vitesse pour quitter terre dans un hurlement « tsunamistique », une déflagration qui, aujourd'hui encore, résonne au plus profond de moi. Ce motard ne le saura probablement jamais, mais il est à l'origine de la naissance d'une véritable passion dont ce 20 avril aura été le berceau.

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